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"Maintenir la tradition du fado et la renouveler
Depuis trente-cinq ans, Carlos do Carmo chante et défend l’art du fado. Il se refuse pourtant à tout intégrisme et apprécie au  
contraire les innovations qui viennent enrichir le fado.

SI Amalia Rodrigues, ambassadrice du fado à travers le monde, ne chante plus, beaucoup d’autres expriment désormais la "saudade" Ä l’âme et la nostalgie portugaises. Carlos do Carmo, cinquante-huit ans, est l’un de ceux-là. Très apprécié dans son pays par les connaisseurs, il s’adresse aussi à un public plus large à travers une carrière internationale. Carlos do Carmo, ni "universitaire du fado", ni gardien du temple, vient de se produire à Colomiers (Haute-Garonne), dans le cadre de la Biennale des musiques ibériques. Nous l’avons rencontré.

Etes-vous le successeur d’Amalia Rodrigues ?.

Non, je ne crois pas. J’ai ma personnalité, je suis moi-même.

Cette comparaison vous agace ?

Non, mais Amalia Rodrigues est une femme et je suis un homme : il n’est pas facile de nous comparer.

Quels sont les thèmes qui inspirent votre fado ?

La vie ! On retrouve énormément de thèmes dans mes chansons : l’avenir, le passé, la joie, la tristesse, le chagrin, l’injustice, le bonheur... J’essaie de faire passer l’expression d’un pays qui est le mien et qui possède une très belle poésie.

Vasco Graça Moura a écrit trente-cinq poèmes regroupés sous le titre "Letras do fado vulgar". Cet un événement dans le monde du fado. Quels sont ces poèmes que vous allez bientôt interpréter ?

Vasco Graça Moura m’a offert ces textes. C’est un poète que j’aime énormément, un homme pour qui j’ai beaucoup de respect. Vasco est un poète très reconnu, un intellectuel, et c’est drôle qu’il fasse tout d’un coup un parcours dans le milieu du fado, un voyage dans le domaine du populaire. Son effet, très intéressant, a pleinement réussi. Je ne savais pas qu’il pouvait parvenir à un tel langage. C’est la première fois qu’il écrivait pour un fadiste. Le titre de ces poèmes est ambigu. "Vulgar" ne veut pas dire exactement vulgaire. Il signifie, je pense, que Vasco Graça Moura, humblement, rend visite au langage du fado : simple, populaire mais pas vulgaire.

Vous avez réalisé la programmation de fado de l’Exposition universelle de Lisbonne. En quoi consiste cette programmation ?

L’Expo universelle comporte seize plateaux. Le plateau numéro un est celui du fado. Tout au long des cent trente-deux jours de la manifestation sont organisés, chaque, soir des spectacles de fado. L’Expo s’achève bientôt et le plateau de fado en a été le grand succès. Tous les soirs, sans exception, la foule se déplace. J’en suis fier. Programmer les artistes fut un travail passionnant. Mon critère : sélectionner les meilleurs.

Quelle différence y a-t-il entre le fado de Lisbonne et celui de Coimbra ?

La sonorité de la guitare n’est pas la même à Coimbra et à Lisbonne. La forme et l’esprit du fado ne sont pas identiques dans les deux villes. Coimbra est un centre universitaire et son fado est lui-même universitaire, intellectuel. Celui de Lisbonne Ä le mien Ä est beaucoup plus populaire. Mais il y a eu et il existe encore à Coimbra de remarquables chanteurs et joueurs de guitare.

Est-il vrai que le fado est chanté par les gens du peuple et non par les bourgeois ?

C’est une question très délicate, à ce moment de la société portugaise. Il reste très peu de gens qui ne sont pas des bourgeois, mais il existe dans mon pays deux types de bourgeois : certains le sont dans leur tête, et d’autres en surface. Ces derniers obéissent à une mode. Le monde vit la dictature de la mode imposée par le capitalisme sauvage.

Le tourisme a-t-il fait du mal au fado ?

Certaines "casas de fado" ont causé du tort à cette musique. D’autres pas. Il existe parfois un manque de préparation professionnelle. Si on n’a pas de sensibilité pour ménager l’art, on lui fait du mal, on devient la caricature de soi-même. Je plains ceux qui font ça ! Cependant, je voyage tellement que je connais mal aujourd’hui les casas de fado. Il est rare que je les fréquente.

Comment jugez-vous Aldina Duarte, Paulo Bragança et toute la nouvelle vague du fado ?

Je les aime beaucoup. Le fado est la tradition, la vieille chanson traditionnelle. Ce n’est pas facile de la préserver. J’ose le dire : un pays doit préserver ses traditions, ses méurs. Je suis content quand je vois quelqu’un qui maintien les traditions tout en les renouvelant. Jacques Brel Ä une influence artistique très importante pour moi Ä disait que dans le spectacle, on peut tout faire, sauf tricher.

Misia est la nouvelle grande figure du fado. Mais elle est critiquée car elle s’accompagne au piano, instrument inhabituel. Que pensez-vous d’elle ?

Le piano ? J’en utilise un depuis trente ans, depuis que j’effectue des effets musicaux.

Et le groupe Sitiados ? Il mêle musique pop et fado, il utilise un accordéon...

C’est très bien. Ça danse, c’est jeune et intelligent.

Vous n’êtes donc pas un puriste ?

L’excès de purisme, je m’en méfie. Purisme et puritanisme sont des notions qui se rapprochent tellement ! Je déteste le fondamentalisme, dans tous les domaines.

Les jeunes Portugais aiment-ils le fado ?

Le fado n’a jamais été très apprécié des jeunes. Pour l’aimer, il faut du temps, il faut mûrir, apprendre la vie. Quand j’avais dix-huit ans, c’était une torture pour moi d’écouter du fado ! J’ai commencé a l’apprécier vers vingt-trois ou vingt-quatre ans. Quand un jeune vient me voir et me dit qu’il n’aime pas le fado, je lui répond : tu as encore le temps !

Y a-t-il des programmes de fado à la télévision portugaise ?

Rarement.

Propos recueillis par

BRUNO VINCENS"
Journal le MOnde
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